Le déficit démocratique en Suisse (25% de la population ne dispose d’aucun droit civique) met en lumière la nécessité de rechercher de nouvelles formes politiques. Les principes suivants pourraient éclairer le chemin: le constat que la démocratie doit être «démocratisée», que le «droit aux droits» peut être défendu, et que le droit des migrant·e·s dans la ville doit être expérimenté concrètement.
Le concept de citoyenneté urbaine se nourrit de ces principes. Il lie le «droit aux droits» au lieu de résidence principal des citoyen·ne·s, et non à leur nationalité. Le projet «Le monde dans Zurich. Interventions concrètes dans la politique migratoire suisse» à la Shedhalle1 Zurich vise à faire des propositions concrètes, à l’aide de l’art, pour une citoyenneté des résident·e·s de la ville. La ville de Zurich devrait devenir un «port d’accueil» pour tous ceux et toutes celles qui y vivent et qui y viendront.
Citoyenneté urbaine
Automne 2014, sur les rives du lac de Zurich. Des élections sont prévues pour l’année à venir. Des élections qui, encore une fois, seront liées au thème de la migration et qui excluront les 25% de la population n’ayant pas de droits civiques. La Suisse peut-elle ainsi encore se définir comme une démocratie? De nombreuses personnes ne possédant pas de passeport suisse n’accèdent pas aux services sociaux, à l’éducation, au travail et aux institutions publiques. La migration est encore traitée comme un problème et de nombreux·ses migrant·e·s sont perçu·e·s comme potentielles sources de conflits, tout en étant exclu·e·s de toute position décisionnaire. Ces dernières années dans plusieurs villes et cantons suisses, de nombreuses initiatives ont tenté de défendre une extension des droits, mais elles ont été rejetées. L’échec de ces revendications appelle de nouvelles formes politiques en vue de combattre les inégalités sociales et juridiques en Suisse.
Les principes suivants pourraient fournir des pistes de réflexion: la démocratisation permanente de la société et de ses institutions et un engagement dans tous les domaines politiques, sociaux et culturels pour un «droit aux droits».
En pratique, cela signifierait en premier lieu l’accès aux services et prestations sociales pour tou·te·s les résident·e·s d’une ville. Le concept de citoyenneté urbaine se nourrit de ces principes pour une citoyenneté citadine, ou dite d’habitation, alors que le terme de citoyenneté lie habituellement les droits civiques fondamentaux aux frontières d’un pays, à son contrôle de la mobilité et à la sédentarisation.
La citoyenneté urbaine vise à adapter les instruments politiques aux diverses réalités des (grandes) villes modernes. Avant tout, il faut tenir compte des interactions entre pratiques gouvernementales et luttes sociales. Ces luttes sociales renouvellent les revendications en englobant la participation et des droits sociaux, et dépassent les particularismes de certains groupes d’intérêts politiques, allant plutôt dans le sens d’un véritable mouvement démocratique. D’autre part, et c’est bien là l’élément décisif, l’extension de la participation vient exactement de ceux.celles qui n’étaient auparavant pas considéré·e·s comme «citoyen·ne·s». Les mouvements de citoyenneté urbaine ne peuvent donc pas avoir pour but de faire valoir leurs revendications selon les schémas paternalistes bien connus en Suisse, à l’instar de l’histoire du droit de vote des femmes2. Si le mouvement de citoyenneté urbaine veut court-circuiter cette société de domination, il doit repenser radicalement la démocratie directe ou semi-directe en Suisse.
Projets concrets
Le projet a été conçu par Katharina Morawek (direction artistique, Shedhalle Zürich) avec l’artiste Martin Kreen, et réalisé par un groupe de travail transdisciplinaire. Lors des échanges avec des expert·e·s et des représentant·e·s politiques, des projets concrets autour de trois aspects de la citoyenneté urbaine ont été élaborés: le droit et la liberté de séjour, l’absence de discrimination et l’auto-détermination.
A mi-parcours du projet (autour du passage de 2015 à 2016), on a constaté que l’idée avait pris pied à Zurich et ailleurs en Suisse. Les nombreuses demandes de conférences émanant d’organisations de la société civile à St Gall, Berne, Bâle et ailleurs ont bien montré l’intérêt suscité par le concept de citoyenneté urbaine, notamment pour ce qui concerne la City Card. Ce titre destiné à tou·te·s les habitant·e·s d’une ville offre l’accès aux services sociaux (santé, centres sportifs, bibliothèques, etc.), indépendamment du statut officiel et sert de document d’identité vis-à-vis de la police et des autorités administratives. Des projets de City Card ont été mis en place à New York, début 2015. Début 2017, la ville de Zurich a lancé un groupe de travail interdépartemental autour de la faisabilité d’un tel titre pour Zurich. Les prochains mois montreront quelles avancées pourront être réalisées.
Des réflexions similaires ont aussi été engagées à Berne et dans d’autres villes. Mais l’adaptabilité du concept de City Card trouve ses limites dès qu’on le sort des réalités concrètes. Comme expliqué plus haut, l’analyse des rapports de force et des configurations des différentes luttes sociales est centrale et une progression des idées dans les villes mentionnées est aujourd’hui tout à fait réaliste.
Le lien avec les luttes sociales est l’élément clé du succès. Le 7 février 2016, le forum «Nous sommes tous Zurich» avait offert un cadre pour plus de 550 personnes dans cette même Shedhalle pour discuter du droit à la ville (post)migratoire ainsi que des nouvelles voies de la politique migratoire suisse, et de la citoyenneté urbaine.
Dans son discours d’inauguration, la politologue Shpresa Jashari a développé l’esprit d’une nouvelle politique post-migratoire, non plus axée sur une «réaction de peur» mais sur une «action consciente. Parallèlement, un grand nombre d’ateliers et d’échange autour des luttes en cours et du contexte post-migratoire ont été mis en place par des associations de migrant·e·s.
Démocratiser la démocratie
Une interprétation de la citoyenneté urbaine orientée vers une transformation sociétale nécessite d’une part des stratégies de renforcement des droits civiques des citoyen·ne·s actuel·le·s ou en devenir. Il s’agit en première ligne de prendre en main la responsabilité politique, comme le font depuis toujours les mouvements sociaux. Mais la réalisation de la promesse d’une citoyenneté urbaine – Urban Citizenship – elle-même cosmopolite, nécessite également des mouvements sociaux et des politicien·ne·s progressistes aux niveaux national et transnational qui comprendront l’intérêt d’un effet politique là où le rapprochement de données, les politiques de visa et d’entrée s’opèrent, là où l’on coopère avec les autorités et la police, là où les règles d’expulsion sont négociées, et là où des changements structurels peuvent être initiés. Alors pourrait-on faire un grand pas vers une démocratisation de la démocratie à travers l’Europe, avec une extension du droit aux droits basée sur le lieu de résidence.
La Shedhalle est un lieu d’art contemporain qui jette un œil critique sur l’évolution politico-sociale. Les expositions temporaires traitent de thèmes politiques, de phénomènes culturels, de rôles dans la société, d’exclusions et de projets de vie alternatifs. Les questions posées sont éclairées sous des angles différents par des artistes, des scientifiques et des activistes.
Elles menèrent à cette occasion un combat émancipateur sur plusieurs décennies mais durent attendre des hommes, jusqu’en 1971, qu’une majorité d’entre eux vote pour leur inclusion au processus démocratique. Cette distanciation historique de la domination des hommes n’a ainsi été possible que par la reconnaissance des femmes discriminées par les hommes dominants.