Début mars 2015, la répression des opposants au projet de barrage de Sivens est entrée dans une phase inédite. Durant une semaine, des milices pro-barrage appelées à manifester par la Fédération Départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FDSEA) ont bloqué les routes, traqué et agressé les «zadistes» et leurs soutiens avec la complicité non dissimulée de la gendarmerie locale. Cela a conduit de nombreux militants à qualifier les méthodes utilisées par le pouvoir et ces groupes de fascistes.
C’est à la suite de controverses concernant l’usage du terme dans nos Assemblées Générales que nous avons décidé de mener un travail d’enquête pour mieux saisir la nature du fascisme. Nous sommes donc brièvement revenus sur les périodes que l’Histoire a qualifiées de fascistes dans le but de voir en quoi les événements survenus dans le Tarn y ressemblent ou diffèrent et d’en saisir les singularités.
C’est un petit document d’une soixantaine de pages écrit en quelques semaines par plusieurs personnes participant activement à la lutte et vivant sur le territoire, d’abord diffusé lors du Printemps 2 Sivens fin avril et depuis lors à travers des réseaux alternatifs.
Produire des réflexions émanant directement des luttes territoriales, les diffuser et les présenter sur ces lieux de luttes, cela nous semble une perspective cohérente et même essentielle dans le but de recréer des territoires vivables et autonomes! L’ouvrage revient sommairement sur la genèse des événements qui ont conduit à la semaine de blocus précédant l’expulsion de la ZAD du Testet. La responsabilité des élus locaux est décortiquée et les multiples exactions des agriculteurs et personnes pro-barrage sont rappelées. De quoi comprendre que, contrairement à d’autres luttes territoriales où la population est acquise à la cause (Notre-Dame-Des-Landes, le Val de Suse), la ZAD du Testet, depuis son début, est située au beau milieu d’une poudrière.
Un chapitre revient sur l’origine du phénomène fasciste en Italie et en Allemagne.
Ce qui frappe, outre la similitude des méthodes utilisées par des petits groupes affinitaires reliés par un sentiment d’identité commune – casser les grèves ou les collectivisations d’usine en agressant, en faisant peur, etc., c’est l’attitude des partis du pouvoir. En Italie en 1915, la monarchie constitutionnelle en place tolérait les agissements des fascistes du PNF qui contenaient le mouvement révolutionnaire à moindre coût, avant de se faire dépasser par la vague fasciste...
La propension des Occidentaux à adhérer à des principes aussi abstraits que le culte de la Nation, l’idolâtrie d’un chef peut se comprendre par l’influence fondamentale de la religion, notamment de la Chrétienté, système politico-religieux qui coupe les êtres de leurs fondements vitaux (séparation de la chair et de l’esprit) et qui exige la synchronisation théologique de la pensée de tous les croyants à ces idées abstraites.
Aujourd’hui comme hier, deux éléments participent à créer un terreau fertile pour le fascisme: la frustration et la confusion idéologique. Un chapitre s’évertue à décrire en quoi le monde agricole contemporain est traversé par ces émotions. Frustration de n’être pas reconnu pour son travail, de perdre inéluctablement l’autonomie et la liberté caractéristiques de la condition paysanne, d’être obligé de se soumettre à des normes mises en place par des experts... Confusion car l’agriculteur est à la fois accusé d’être la source de tous les maux de l’époque (pollution, réchauffement climatique, etc.) et sommé de s’adapter, de devenir le sauveur de l’Humanité en relevant, grâce à la modernité, les défis du 21ème siècle comme «nourrir la planète».
A travers les exemples de la Grèce aujourd’hui – où les néo-nazis d’Aube Dorée collaborent avec les élites politiques et les forces de l’ordre pour réprimer militants anarchistes et migrants – et du mouvement Gladio2 dans les années 1970, un chapitre montre en quoi les démocraties libérales utilisent les méthodes fascistes pour contenir les mouvements révolutionnaires. En ce sens, l’opposition entre régime fasciste et démocratie libérale est obsolète, mieux vaut penser en terme de continuum au curseur mouvant en fonction de l’état de pacification de la société.
Enfin, nous revenons sur la nature de cet ordre en place, en développant le concept de dictature démocratique machinale et montrons en quoi celle-ci s’accommode ou se défend des phénomènes fascistes. Le déracinement des êtres de leur ancrage naturel et la dépossession de leur faculté à délibérer pour avoir une prise sur leur destin sont présentés comme des caractéristiques essentielles de cet ordre, propices au développement du fascisme. Ainsi, le fascisme est inscrit dans les gènes mêmes de la dictature démocratique machinale. Et d’expliquer en quoi les idéologies eugénistes de la reproduction artificielle de l’humain et le transhumanisme sont la concrétisation logique de cet ordre, la continuité de l’idéologie fasciste à l’ère technologique.
Une conclusion en guise d’appel ponctue ces réflexions. Pour combattre le fascisme, il s’agit de sortir de la société de masse, de dissiper la confusion volontairement entretenue par la gouvernance pour ne jamais poser clairement les termes d’un véritable débat public, de recréer partout où c’est possible les conditions d’une existence qui ne cherche pas à s’émanciper des contraintes naturelles et biologiques du territoire, de recréer du commun à travers la coproduction de nos besoins primaires et le choix collectif de modes de vie qui nous satisfassent.
* Documentariste français, réalisateur de Quelques choses de notre histoire, le capitalisme depuis 1975 (1998), Un siècle de progrès sans merci (2001), Alerte à Babylone (2005) et de Le passage du Nord-Ouest (2014).
- Le collectif Tant Qu’il Y aura des Bouilles lutte contre le barrage de Sivens et le monde qui le produit, il a appelé à l’occupation de la ZAD du Testet dès septembre 2013 et l’a soutenue depuis.
- Entité clandestine émanant de l’OTAN, associant tueurs à gage, nervis fascistes et agents des services secrets ayant pour but de se prémunir de la menace bolchevik.