Cher·es proches de Charles, chers Bekoto et Dama,
Tous ceux et celles chez nous à Longo maï et au Forum Civique Européen qui vous connaissent ont dirigé ces jours-ci leurs pensées très, très amicales vers vous. Vous venez de perdre un des vôtres, un mihinana andro sy voky andro – un homme qui a avalé des années de vie, qui a assimilé du savoir. Charles, le sociologue, batteur et paysan vient de partir pour suivre les médecins Raoul, Nono et Dadah et celui qui a dit qu’il n’était qu’une voix, Fafah. La vie est vraiment féroce à Madagascar!
Beaucoup de lectrices et lecteurs de ces lignes ne savent pas que Mahaleo a imprégné l’histoire de Madagascar mais aussi la nôtre, de même que John Lennon, Bob Dylan, Joan Baez, Nina Simone, Ismael Lo, Ali Farka Touré, Bob Marley, Mark Knopfler, Jacques Higelin, Mercedes Sosa... la page est bien trop petite pour nommer toute cette grande famille de l’espoir.
Vous avez depuis les années 1970 composé et écrit plusieurs centaines de chansons. Vous savez mieux que moi que vos chansons se sont gravées dans les cœurs de vos ami·es, un peu partout sur la planète, qui avaient eu le rare plaisir et la chance de vous rencontrer. Presque toutes vos chansons sont devenues une part vivante du patrimoine malgache d’aujourd’hui, colportées par plusieurs générations jusqu’aux plus jeunes. Des centaines de milliers de personnes connaissent vos chansons par cœur et portent vos textes dans leur âme.
Vos chansons me font rester l’éternel optimiste, malgré le pessimisme de l’intelligence et la folie furieuse de la réalité qui me rongent. Vos chansons sont des odes à l’amitié, à la vie et à la sagesse. Vous savez mettre en sons et en paroles toutes ces dimensions du meilleur de l’humanité. En écoutant vos chansons – et je ne comprends pas la majorité de vos textes – je ne peux que ressentir les émotions, les vibrations de ces ondes les plus diverses de tendresses sonores sensibles dans la durée comme la tension de certaines caresses éternelles de l’instant. Ils vous arrachent de là où vous êtes et vous portent ... Elles m’ont fait comprendre dans mon cœur, dans mon intelligence et dans ma vie, que nous vivons non pas dans un monde universel mais dans un monde pluriversel2, dans un monde riche et pluriel.
Madagascar a découvert vos voix et vos premières chansons pendant la grève générale en 1972. Nous avions grâce à Alex et Mathieu de Radio Zinzine découvert Mahaleo après le printemps de Bourges en 1982. Quelques-un·es d’entre nous, tel·les que Norma, Willi et Nicki, ont tout de suite été enthousiastes à l’idée de créer avec vous une pièce de théâtre musical, Solaluna - l’Ile de l’amitié. Sans comprendre le malgache, on avait pourtant le sentiment et la conviction de vous comprendre. Vos chansons atteignent ce qu’il y a de plus humain dans chacun·e.
Ainsi accompagnées des compositions de la Terre du Feu des Karumanta, nos ami·es commun·es, exilé·es du Chili et des Lieders de Comedia Mundi, les musicien·nes de Longo maï, la tournée européenne Solaluna a pris la route en 1983. De Porto, au Portugal, jusqu’au Festival de Vienne et d’Avignon, nous avons ensemble découvert comment vos œuvres polyphoniques créent une ambiance communicative multivocale qui emporte vers le voyage commun, le buoni voyagi. Solaluna avait creusé un sillon d’espoir, un souffle de courage lucide et humain.
Ces quelques mots pour vous dire encore merci. Ou comme vous avez l’avez chanté dans Somambisamby (nostalgie):
Même quand le ciel est noir, ne perds pas l’espoir. Il est encore long le chemin, alors prends ton destin en main La douceur se cache dans l’amertume Ce n’est pas facile d’y goûter, la vie est faite de hauts et de bas. La lutte continue, on ne réussit pas avec des larmes Prends tes armes et sois fort, affronte ceux qui te terrifient Même s’ils veulent rouvrir tes blessures.
Hannes Lammler