MALI: Falea menacée par une mine d’uranium*

de Hannes Lämmler Forum Civique Européen, 28 mai 2011, publié à Archipel 193

L’exposition Falea, la menace d’une mine d’uranium1 a été présentée au Forum Social Mondial à Dakar début février 2011. Par la suite, une délégation du Forum Civique Européen s’est rendue à Falea, située sur un haut plateau du sud du Mali dans une région frontalière au Sénégal et à la Guinée.

L’imaginaire collectif associe le Mali au désert, au sable, à la chaleur et aux moustiques porteurs du paludisme. Or, les visiteurs découvrent à Falea de la verdure, des jardins, des ruisseaux, des sources, des fruits et aucun moustique. C’est ici que la société Rockgate Capital Corp souhaite exploiter une mine d’uranium sur 150 km2. Transformer ce paysage et ces hameaux en fosses2 radioactives? De nombreux résidents de Falea, une communauté de 21 hameaux et 17.000 habitants, sont familiers de l’exploitation artisanale des mines d’or. Mais, bien que la société française Cogema3 y ait foré plus de 80 carottage dans les années 1970 et que depuis environ quatre ans la société canadienne, Rockgate Capital Corp effectue des forages de prospection pour le localiser, l’uranium est mal connu ici. Les habitants ne sont pas informés, ils n’ont pas d’accès au réseau téléphonique, ni à Internet, ils n’ont que quelques postes de radio. Le village est situé à 90 km de la ville la plus proche (Kenieba), à 4 heures de route en 4x4. Pendant la saison des pluies, durant 7 à 8 mois, la rivière Faleme rend la route impraticable.

Des routes et des ports

Aujourd’hui, Rockgate amène l’espoir à Falea. Enfin une route sera construite. Et depuis que cette société est présente, les poulets se vendent au double du prix et les oranges succulentes, cultivées à l’ancienne à Falea, sont également mieux rémunérées. Le camp d’exploration de Rockgate engage des gardiens pour un salaire presque trois fois supérieur aux tarifs locaux – 90 euros par mois au lieu des 30 à 40 euros usuels. Les manœuvres chargés des forages gagnent 225 euros par mois! Les journaliers sont indemnisés 4 euros par jour. «Si la population et les normes environnementales sont respectées, il n’y a probablement rien à objecter contre la mine. La mine est le progrès et le progrès apporte des routes» a dit un habitant aux visiteurs. Durant le voyage de Dakar à la frontière malienne, et de là à Kenieba, la délégation du Forum Civique Européen a pu emprunter la toute nouvelle route, le «corridor sud de l’Afrique de Ouest, Bamako-Dakar». La Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement, l’agence de développement japonaise, l’USAID, la Chine, la Banque Africaine de Développement, la Banque Islamique de Développement, les gouvernements du Sénégal et du Mali coopèrent avec l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine dans le cadre du Programme d’action communautaire pour les infrastructures et le transport, pour réaliser cette liaison routière entre Dakar et Bamako. Le corridor suit pendant des centaines de kilomètres le vieux tracé de la ligne des chemins de fer coloniaux, fermée récemment au public par la privatisation4. Une filiale de la société d’Etat des chemins de fer chinois – Covec-Mali – achève le tronçon de route entre la frontière du Mali près de Kenieba et Bamako. Sur le même chantier on trouve l’entreprise de BTP Razel5, qui appartient depuis 2009 au Groupe Fayat. La société de travaux publics Dai Nippon Construction construit les trois ponts nécessaires sur cette route vers Bamako. Ces ponts sont un cadeau du Japon, des crédits non remboursables.
Résumons: des fonds en provenance d’Etats les plus divers réunis pour la construction d’infrastructures qui favorisent, pour des multinationales, l’extraction bon marché des richesses minières de l’Afrique de l’Ouest pour les transformer loin de là. Il est même question d’un projet de construction d’un port maritime à environ 60 km au sud de Dakar.

Fantômes et radioactivité

Le minerai d’uranium se trouve principalement en profondeur mais sur le haut plateau de Falea, des veines d’uranium affleurent par endroits. La population évite ces sites où des fantômes diffusent leur fléau. Ces mauvais esprits sont invisibles, inodores et se propagent sans bruit.
«Nous avons la preuve que le rayonnement radioactif provoque des changements dans les gènes. Selon les gènes touchés, la leucémie peut être traitée mais cela peut être très difficile», explique l’oncologue6 Annette Ridolfi dans la Wochenzeitung7. «Depuis l’explosion des bombes nucléaires à Hiroshima et Nagasaki, on sait que les radiations provoquent la leucémie et des tumeurs malignes.» Il est démontré que le rayonnement provenant des centrales nucléaires affecte les organes reproducteurs de l’être humain. Dans un rayon de vingt kilomètres autour des centrales nucléaires, il y a moins de naissances de filles.
La radioactivité est inodore, invisible et inaudible lors de l’extraction minière, de la production d’électricité dans les centrales nucléaires et de l’élimination des déchets nucléaires. Le lobby nucléaire et ses entreprises savent en tirer parti sans aucun scrupule8.
«Au Niger, on exploite l’uranium depuis quarante ans; l’argent facile a attiré des milliers de travailleurs dans les mines. Beaucoup parmi eux étaient des Touaregs qui n’étaient informés ni du rayonnement radioactif ni des risques sanitaires. Les mineurs prenaient leur déjeuner assis sur des rochers d’uranium, rentraient chez eux avec leurs vêtements couverts de poussière, (…) les enfants jouaient sur leurs genoux, et les femmes lavaient leur linge à la main.»9
A Falea, manœuvres locaux et foreur travaillent à la recherche de gisements d’uranium sans mesures spéciales de protection. Ils ont des contrats d’emploi temporaire. «L’éventuel rayonnement est faible et ne serait pas dangereux», a déclaré à la délégation le canadien chargé de la foreuse qui travaille cette année pour trois mois chez Rockgate Corp. Les dangers inodores, invisibles et silencieux menacent là où l’ignorance et la stupidité se donnent rendez-vous. L’équipe de Rockgate célébrait l’année dernière la découverte d’un affleurement à forte proportion de minerai d’uranium avec un méchoui et du champagne juste là, dans un de ces endroits réputés hantés par les habitants de Falea. Quelques villageois ne pouvaient que hocher la tête.
Parfois, il faut des années pour qu’un cancer ou une leucémie ne se déclare. Du coup, il est difficile de détecter quand et où la contamination a eu lieu, le doute bénéficiant à l’employeur des ouvriers temporaires10.

Yellow Cake

Le minerai d’uranium est transformé, en utilisant beaucoup d’eau et en produisant de nombreux poisons caustiques, en matière première commercialisable: le Yellowcake. Il peut être transformé en arme nucléaire aux effets dévastateurs (Nagasaki, Hiroshima). Les militaires et les armées de nombreux pays sont intéressés par cette arme. A partir du Yellowcake sont également produites les barres de combustible utilisées dans les réacteurs nucléaires, la chaleur dégagée étant ensuite transformée en électricité. Les centrales nucléaires fournissent en France 75% de la consommation en électricité. La particularité de cette énergie est qu'elle est fournie en continu et ne peut pas varier rapidement selon la consommation. C’est la raison pour laquelle on utilise les centrales hydrauliques et thermiques pour les pics de consommation.
L’énergie nucléaire n’est ni durable ni respectueuse de l’environnement, et elle entraîne une contamination radioactive. Les militaires et l’industrie de l’uranium le savent depuis longtemps. Leur organisation, l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), a conclu en 1959 un accord avec l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS): les études sur les effets sanitaires de la radioactivité doivent être examinées avant publication par l’AIEA. Cet accord amène à penser que les militaires et l’industrie du nucléaire bercent intentionnellement le public d’illusions.
Depuis des décennies, pas un incident nucléaire, pas un accident dans une centrale ni un essai sans la traditionnelle formule tranquillisante: «Selon les autorités de sûreté nucléaire, l’incident, (l’accident, l’essai) ne présente aucun danger pour la santé.»
Le réacteur nucléaire de Tchernobyl a explosé le 26 avril 1986, il y a 25 ans. Aujourd’hui encore, incroyable mais vrai, l’OMS continue de prétendre, sur la base d’un communiqué qui a reçu la bénédiction de l’AIEA en septembre 2005, que la catastrophe de Tchernobyl aurait fait 50 morts et probablement déclenché 4.000 cancers mortels. Les chiffres de l’OMS11 sont aussi précis que l’annonce du gouvernement français au sujet du fameux nuage de Tchernobyl qui aurait contourné les frontières de la France. Dans une publication de l’Académie de science de New York, le professeur Alexey Yablokov (écologue russe) et deux physiciens nucléaires Alexey et Vassili Nesterenko de l’Institut de radioprotection (Belrad) à Minsk (Biélorussie), après avoir analysé des milliers d’études estiment à plus de 950.000 les décès causés par l’exposition directe aux radiations dans l’environnement du réacteur nucléaire ou par les résidus radioactifs du nuage.
La politique d’information de l’OMS consiste à banaliser les effets de la radioactivité, en application de l’accord avec l’AIEA et avec les graves conséquences qu’on peut imaginer. C’est pourquoi depuis plus de quatre ans, chaque jour, des femmes et des hommes venus du monde entier se retrouvent à Genève, à l’entrée du siège de l’OMS pour exiger l’abrogation de l’accord de 1959.
Curieusement, la grippe aviaire a été classée par l’OMS en 200512 plus dangereuse que l’explosion et le nuage de Tchernobyl.
De nombreuses personnes travaillent à l’extraction de l’uranium pour produire le Yellowcake, à la maintenance des centrales nucléaires, au transport des déchets et à la gestion des sites d’élimination ou de stockage. Tout au long de la chaîne du nucléaire, la contamination produite durera des millénaires. «Un dépôt final de déchets nucléaires devrait être conçu de manière à résister pendant au moins un million d’années, c’est-à-dire, à une dizaine de périodes glaciaires et un nombre incertain de tremblements de terre».13
Communiquer et expliquer aux voisins d’un réacteur nucléaire ou d’une future mine d’uranium la menace inaudible, invisible et inodore est d’autant plus difficile si les effets sont systématiquement minimisés par des organisations expertes telles que l’OMS et l’AIEA.

Pas de mine d’uranium à Falea?

Le Président de la République du Mali, Amadou Toumani Touré, lors de l’audience qu’il a accordée à la mission des eurodéputés Verts-Alliance Libre Européenne fin mars 2011, a déclaré qu’il n’avait pas été informé de la situation à Falea et il s’est engagé à arrêter les opérations de forage et de carottage. De plus, il a affirmé que si la population de Falea ne veut pas de ce projet minier, le permis ne sera pas délivré à Rockgate et qu’il favorisera le développement du secteur agricole dans la Commune rurale de Falea.14
Depuis bientôt deux ans, nos amis maliens de l’Association des Ressortissants et des Amis de la Commune de Faléa (ARACF) font un effort considérable de sensibilisation, avec des projections de films et beaucoup d’explications. En février 2011, une délégation du Forum Civique Européen s’est rendue à Falea, avec une visite du village et des environs et des entretiens avec les habitants, ainsi que la mise en place d’une antenne parabolique pour désenclaver Falea sur le plan informatique. Dorénavant, les habitants de Falea ne sont plus obligés de faire 40 km en moto pour téléphoner. Ils peuvent maintenant communiquer, indépendamment de Rockgate. Ceci a été possible grâce à un appui conséquent de la Ville de Genève et de l’administration Environnement et Santé de la ville de Zurich.
Dans les semaines à venir, une station de radio locale devrait commencer à émettre. Il y a encore un problème d’étanchéité du toit pour le studio d’émission. La radio aura pour objectif de vulgariser des connaissances dans les quatre langues vernaculaires. Expliquer par exemple des mots tels que radioactivité, millisievert, rayon X, becquerel, ou les conséquences des rayonnements alpha, beta et gamma, etc.
L’affirmation du chef de l’Etat n’est-elle qu’une promesse de circonstance? Osera-t-il refuser le permis d’exploitation à Rockgate malgré les pressions du lobby militaro-nucléaire? Ou bien la population de Falea va-t-elle recevoir la visite d’éminents experts et spécialistes de l’OMS ou de l’AIEA pour la convaincre? On dit que Rockgate ne serait qu’un poisson pilote canadien de la française Areva. Un ami nous a écrit qu’il faut rester vigilant. Amadou Toumani Touré, le président du Mali, n’a plus qu’une année de mandat. Il faudra veiller à ce que la promesse soit tenue et surveiller de près son successeur. Il faut aussi que les habitants de Falea puissent avoir des perspectives économiques durables qui leur permettent de s’épanouir et d’être capables de résister aux pressions qui ne manqueront pas de resurgir. Il s’agit donc de les soutenir dans cette perspective.
Nous espérons que des milliers de personnes écriront15 à Amadou Toumani Touré pour le féliciter et l’encourager. Et n’oubliez pas de nous en faire une copie. Ces lettres pourront être remises à son successeur.
Avec l’ARACF, nous avons quelques projets pour ancrer à Falea la connaissance des risques et conséquences d’une mine d’uranium. Une délégation d’habitants devrait pouvoir se rendre à Arlith au Niger où Areva exploite depuis plus de 40 ans des mines d’uranium. Bien sûr, il faudra, dans les circonstances actuelles, que des villes européennes et américaines, des parlementaires et des personnalités parrainent, soutiennent et accompagnent une telle délégation.16
Il est probable qu’un projet de recherche universitaire commence en septembre 2011, qui analysera le respect des normes environnementales et des normes démocratiques dans le contexte de l’extraction minière dans une étude de cas à Falea. L’ARACF cherche également un financement pour une troupe de théâtre qui travaillerait pendant un an avec les habitants pour monter une production avec le titre provisoire «Les mauvais esprits de la radioactivité» dans les hameaux de Falea, certains villages du Mali et en Europe.
Peut-être pouvons-nous aussi contribuer à remplacer la mine par encore plus de jardins et une agriculture qui fait valoir l’atout majeur de Falea: une énorme biodiversité. Au laboratoire universitaire de botanique de l’Institut de l’Afrique Noire de Dakar, nous avons consulté une étude scientifique récente qui démontre que la région frontalière avec le Sénégal et la Guinée héberge une immense diversité botanique.
Par ailleurs, dans la déclaration de l’ARACF, suite à la mission de la Criirad et des parlementaires fin mars 2011, on peut lire: «Rockgate ignore totalement l’hydrographie et l’hydrologie de la commune rurale de Falea. Ses opérations de forage ne s’appuient sur aucun document technique malien ni sur des données et informations établies par elle-même sur l’hydrologie locale. De ce fait, les forages sont parfois effectués en amont des sources traditionnelles d’approvisionnement en eau des populations (puits, rivières, etc.) et sur des bassins versants du plateau de Falea.»17.
La critique des agissements de Rockgate renforce chez certains acteurs de l’ARACF les connaissances du savoir faire alternatif. En Amérique latine, un dispositif a été testé qui permet l’extraction artisanale de l’or sans mercure, une activité séculaire au Mali, Et si on créait un institut de formation à ces techniques à Falea?

* Document complet sur le site <ww.forumcivique.org>. Complément d’actualités et d’informations sur <http://www.falea21.org/>.

  1. Voir l’intégralité du communiqué sur http://www.falea21.org/.
  2. Voir Archipel No 176, novembre 2009.
    L’exposition itinérante est disponible en français, anglais, allemand et italien pour une petite participation aux frais d’impression.
  3. www.falea21.org
  4. Compagnie Générale des Matières nucléaire, aujourd’hui Areva, la plus grand société nucléaire du monde, détenue à 90% par l’Etat français, avec 50.000 travailleurs, qui se vante de ne produire que de l’énergie neutre en CO2.
  5. Voir De Bamako à Dakar avec la Caravane, Archipel No 190 (2/11).
  6. Razel construit également la centrale de recherche Iter à Cadarache (Provence, France).