«Les mêmes droits pour tous ceux et celles qui sont ici et pour tous ceux et celles qui sont encore à venir. Aucun être humain n’est illégal.» Le 28 octobre, la manifestation pour une autre politique migratoire a eu lieu à Berne sous une pluie battante, mais avec une grande participation de toute la Suisse. Voici deux des discours prononcés lors de la manifestation de clôture*.
Halua Pinto de Magalhães[1]
Les débats politiques suisses de ces derniers jours mettent clairement en évidence ce qui s’est passé dans ce pays au cours des trente dernières années: au niveau national, toute transformation positive de la politique migratoire est complètement bloquée – au contraire, la législation en matière d’asile, de migration et de droits civiques est sans cesse renforcée. Bien que la Suisse ait depuis longtemps un nouveau visage, que la diversité post-migratoire et les liens transnationaux aient dessiné des réalités sociales irréversibles, de nouvelles frontières continuent de se dessiner au travers de notre vie quotidienne. Les migrant·es et leurs descendant·es, les sans-papiers, les demandeur/euses d’asile, Second@s[2] ou les gens de couleur sont limité·es dans leur participation à l’espace public, voire en sont exclu·es. Un quart de la Suisse n’a ni droit de vote ni droit d’éligibilité. Les réfugié·es font l’expérience de l’isolement dans les centres de transit. Les sans-papiers ont peur d’être expulsé·es, leur liberté de mouvement est limitée. De nombreux obstacles à la participation juridique, politique, sociale, économique et culturelle s’ensuivent.
Mais ce que nous voyons aussi aujourd’hui: de plus en plus de gens veulent un changement. «Entre nous, pas de frontières» signifie: les mêmes droits pour tou·tes!
Les frontières sont au cœur des contradictions de notre époque, car dans de nombreuses villes européennes, nous assistons quotidiennement à la crise du principe d’appartenance nationale. Les villes se veulent globales et cosmopolites, elles s’affrontent à la concurrence internationale et courtisent, en tant que paradis fiscaux, les entreprises multinationales ainsi que l’élite mondiale hautement qualifiée. La mondialisation néolibérale a rendu les frontières nationales plus perméables aux biens et hautement sélectives pour les personnes. Quant aux capitaux, ils sont soumis aux règles du marché international – le régime actuel des frontières est finalement l’expression de la relation changeante entre l’État et le capital. Les frontières représentent ainsi les points de contrôle symboliques sur la géographie du pouvoir et de la prospérité, les migrant·es en tant qu’êtres abstraits pour devenir une masse de main-d’œuvre régulable, au nom de la prospérité nationale. Le discours sur la migration crée ainsi la base matérielle de l’exclusion sociale et de l’exploitation sur le marché du travail. Les frontières symboliques s’étendent donc des clôtures physiques de la forteresse Europe jusque dans nos têtes et déterminent la manière dont nous voyons le monde.
Mais ne nous y trompons pas: chaque fois que des changements globaux remettent en question le statu quo politique et économique, la Suisse imagine et régule ses bon·nes et ses mauvais·es migrant·es. «Pas de frontières entre nous» signifie reconnaître la migration et la diversité comme un fait social. Pour qu’une société assume réellement sa responsabilité face à l’injustice, à l’inégalité et aux écarts de prospérité à l’échelle mondiale, la conscience publique et les institu-tions politiques suisses devraient s’ouvrir aux interdépendances mondiales et à la diversité sociale de la Suisse, au lieu de continuer à cultiver l’idée d’une Suisse particulière.
Le monde devient de plus en plus interconnecté et, en même temps, le désir d’appartenance ne semble pouvoir être satisfait que par la délimitation. La citoyenneté et le marché du travail ne sont toutefois rattachés au territoire national qu’au prix de grands efforts, les frictions sociales qui en résultent créant de nouveaux espaces. Par définition, les migrant·es sont également chez elles et eux dans les espaces intermédiaires et les appartenances multiples marquent les réalités de vie de la plupart des personnes en Suisse. Reconnaître de telles réalités permettrait par exemple de comprendre les réseaux diasporiques comme une possibilité de modèles de solidarité transnationaux. Le savoir empirique dans les sociétés post-migratoires permet justement d’accéder à des modes de vie qui ont pour base une autre conception d’une vie bonne et durable. Nous avons donc besoin des histoires et des récits dans lesquels les expériences de tous les hommes et les femmes sont présentes.
«Entre nous, pas de frontières» invite à une autre perspective sur le débat concernant l’organisation de notre société. Une société de migration démocratique est imaginable! Et l’initiative démocratique serait justement l’occasion d’élargir au moins les droits des citoyen·es. Ce qui est important – comme aujourd’hui – c’est une forte combinaison de différentes luttes sociales, proches du quotidien, dans lesquelles il est question de droits égaux pour tou·tes - pour tou·tes celles et ceux qui sont ici et pour tous ceux qui sont encore à venir.
Living Smile Vidya
Certaines personnes aimeraient avoir plus d’aventures dans leur vie. C’est drôle, car pour d’autres personnes, la vie est une aventure. Des gens comme nous, nés dans notre famille, dans notre ville natale (c’est étrange que je doive encore la qualifier de maison). Ville natale, pays natal, patrie, et ainsi de suite, et ainsi de suite.
C’est drôle parce qu’on ne vit pas avec une aventure, on doit faire les aventures pour prendre soin de sa vie.
Parfois, on a l’impression d’être dans une série télévisée sur la survie. Vous naissez dans un pays où votre défi est de rester en vie malgré tous les obstacles et vous survivez. Ensuite, vous vous échappez de ce pays et vous demandez l’asile dans un autre pays, ce qui est comme une deuxième saison de la série sur la survie. Puis vous recommencez tout le processus.
Puis on vous dit «non, vous ne pouvez pas vivre ici». Alors, vous vous battez à nouveau. D’une certaine manière, c’est une formule à succès pour la série en termes de défis, d’obstacles, de difficultés et de survie. Mais il est triste de devoir se battre de plus en plus pour survivre, pour être en vie.
C’est étrange, mais en fait, je devrais plutôt m’appeler Surviving Smile Vidya[3]. Je ne sais pas pourquoi je suis restée à Living Smile Vidya. En fait, c’est une blague que je me suis faite à moi-même.
Mon nom est Living Smile Vidya. Je suis une femme trans. Je suis une activiste trans, une activiste dalit[4]. Je suis une artiste. Je ne veux pas simplement survivre. Je veux vivre!
Si possible, je veux vivre heureuse. Et je vais continuer ma lutte, ma contestation, ma stratégie. Je pense donc que la vie des réfugié·es est importante. Merci beaucoup.
- Merci à Solidarité Sans Frontières (SOSF) pour l’organisation de cette manifestation et l’enregistrement des discours. Vous pouvez trouver la totalité des interventions sur le site de SOSF <www.sosf.ch>.
- coprésidente de l’INES - Institut Nouvelle Suisse
- Secondas Zurich est une plateforme de discussion inter-partis pour les thèmes de politique migratoire ainsi qu’un groupe de travail inter-partis pour les interventions et initiatives en matière de politique migratoire. Les Suisses et les doubles nationaux y sont les bienvenus, tout comme les étrangers.
- Sourire Vidya, survivante.
- aussi appelé·es intouchables, parias ou Harijans, groupes d’individus considérés, du point de vue du système des castes, comme hors castes et affectés à des fonctions ou métiers jugés impurs.